Tiphaine et du Guesclin

Tiphaine, la belle voyante et du Guesclin le laid preux chevalier


Un rude gaillard que ce gaillard-là ! A treize ans, Bertrand du Guesclin fait le désespoir de sa mère qui ne se console pas d'avoir un fils aussi laid et aussi turbulent :

De Rennes à Dinan, il n'y a pas d'enfant plus affreux à voir, se lamente-t-elle. Pourquoi son teint est-il si foncé, son visage aussi grimaçant, ses cheveux si noirs ?

Elle en conçoit un tel déplaisir que Bertrand est devenu son souffre-douleur ; le seul, parmi ses frères et soeurs, à n'être jamais admis à la table familiale : qu'il aille donc aux cuisines ou aux écuries avec sa méchante figure ! Maltraité par ses parents, l'enfant se rattrape sur ses camarades qu'il roue de coups lorsque ceux-ci refusent de jouer à la guerre avec lui. Si bien que Bertrand n'a jamais pris le temps d'étudier, ainsi que le note son chroniqueur, Jean Cuvelier : « Rien ne savait de lettres, oncquens n'avait trouvé maîtres, de qui il se laissait doctriner, mais les voulait toujours férir et frapper. »

Au service du roi Jean le Bon, il devient, vers 1342, une sorte de Robin des Bois : avec sa petite troupe de partisans, il attaque et rançonne les Anglais qui s'aventurent dans la forêt de Brocéliande, en Bretagne du Nord. La guerre de Cent Ans vient de commencer.

Faisant fi de la témérité aveugle des chevaliers sans peur et sans cervelle, Bertrand réinvente le harcèlement des troupes par ruses et subterfuges, qu'on appelle aujourd'hui guérilla et qui, de tout temps, sut faire échec aux armées les plus puissantes. Il devient vite la terreur des occupants qui l'ont surnommé « le Dogue noir de Brocéliande ».

Ces débuts épiques ont mené du Guesclin vers la gloire. A trente-sept ans, le voilà chevalier, seigneur de la Motte-Broons, capitaine ... Elles sont loin les années de maquis, mais les Anglais craignent plus que jamais ce petit homme « de grosse et rude taille » dont le nom devient célèbre dans toute la France. Il reste le plus sûr atout du Dauphin (futur Charles V), qui a pris la régence du royaume en l'absence de son père, le roi Jean le Bon, retenu prisonnier à Londres.

Une trêve vient d'être signée, qui permet aux antagonistes de reprendre souffle (en même temps, que de préparer des troupes fraîches). Mais voilà qu'Olivier du Guesclin le propre frère de Bertrand, a été toute de même fait prisonnier par un certain Thomas de Canterbury, chevalier anglais sous les ordres du duc de Lancastre.

Lancastre, c'est l'adversaire en titre de Bertrand du Guesclin : lieutenant général du roi Édouard III d'Angleterre, c'est sous son commandement que la Bretagne est occupée. Mais les lois de la chevalerie sont formelles : une trêve doit être respectée de part et d'autre, et Bertrand sait que le duc de Lancastre est un homme d'honneur. Aussi, « rougit-il comme un charbon » en apprenant l'indélicatesse commise à l'égard de son frère. Il fait seller son cheval et par vers le camp des envahisseurs sans la moindre escorte.

Les sentinelles, qui en ont vu d'autres, lui indiquent complaisamment la tente de Lancastre ; celui-ci est en train de jouer aux échecs avec ses barons. Lorsque le Breton, écumant de fureur, apparaît sur le seuil, tous se lèvent et le saluent avec la plus grande courtoisie « Messire Bertrand ».

Mais notre bouillant chevalier n'est pas d'humeur à faire des politesses. Il exige qu'on lui rende son frère sur-le-champ.

Indigné, en apprenant le méfait de Canterbury, Lancastre fait appeler ce dernier. Mais l'anglais n'accepte de restituer son otage que contre espèces sonnantes et trébuchantes. De plus, il en profite pour accuser Bertrand de trahison et demande un duel, pour le soumettre au jugement de Dieu ... histoire de prouver, par la même que le Breton n'est pas si invincible que cela !

La place du Marché, à Dinan, est alors transformée en champs clos où vont s'affronter les deux adversaires, pour la plus grande joie des populations avoisinantes. On a confiance en Bertrand qui a déjà fait mordre la poussière à tant d'Anglais ... mais cette fois, il a affaire à forte partie : Thomas de Canterbury est renommé pour sa puissance au combat.

Aussi est-ce avec un rien d'inquiétude que l'on voit pénétrer en lice un Bertrand portant sur son armure la tunique aux couleurs des Du Guesclin : aigle noir à deux têtes sur fond blanc barré d'une diagonale rouge. Son écuyer vient lui glisser à l'oreille qu'il peut se rassurer : Tiphaine, la belle voyante, fille du seigneur de Raguenel, a lu dans les astres qu'il serait vainqueur.

Bertrand renvoie le jeune homme d'une bourrade dans le dos : « Va, fou ! Sottises sont que cacassements de femmes. Qui à femme se fie n'est guère avisé. En femme n'est de sens plus qu'en la brebis »

Il faut dire que Bertrand ne connaît pas encore Tiphaine ... et qu'à part les servantes de ferme et les filles à soldats, il n'a pas beaucoup approché de femmes. Il se sait tellement repoussant ! Ne l'a-t-il pas lui-même dit un jour : « Jamais je ne serai aimé ni désiré, mais toujours des dames éconduit : car je sais que je suis bien laid et mal fait ! » Aussi se venge-t-il de la nature par ses actes de bravoure ; il a d'ailleurs pris pour devise : « Le courage donne ce que la beauté refuse. »

Alors la jouvencelle peut toujours prédire ce qu'elle voudra, ce ne sont pas les étoiles qui donneront la victoire à Bertrand, mais sa seule détermination. Et elle y suffira bien !

Les deux chevaliers jettent leurs destriers l'un contre l'autre, et bientôt jaillissent des étincelles dans le fracas des épées contre les armures et les écus. Bertrand tombe à terre, au grand dam de la foule anxieuse ; Sans attendre qu'il se relève, Canterbury pousse son cheval à la charge.

Mais le Breton a tout de même eu le temps d'envoyer promener une partie de son lourd harnachement, ce qui le rend plus libre de ses mouvements. Il désarçonne son adversaire qui n'en peut plus, lui ôte son heaume et commence à l'assommer de ses mains gantées de fer. C'en est fini du présomptueux et Lancastre lui-même doit intervenir :

- Ami Bertrand, vous avez assez fait. Tout l'honneur est à vous.

De son balcon pavoisé, Tiphaine Reguenel l'a regardé, tranquille. >N'avait-elle pas prédit qu'il gagnerai ? Elle est connue par tout le monde pour être sage autant que savante et, lorsque Bertrand vient rendre Olivier, son frère, au sire de Raguenel chez qui le jeune homme servait comme archer, Tiphaine demande à ce qu'on lui présente le glorieux vainqueur de la journée.

Bien sûr, elle a entendu parler de lui, de ses exploits, de sa laideur aussi ; elle trouve pourtant bien du charme à son regard vert, si vif et si orgueilleux. Elle aime les hommes fiers, la fière Tiphaine.

Quant à Bertrand, il est ébloui par cette beauté qui, ma foi c'est bien vrai, ne le quitte pas de yeux ... Se pourrait-il qu'une demoiselle de haut lignage, fort belle par surcroît, s'intéressât à lui, hobereau malgracieux et de maigre fortune ? Sans avoir échangé trois paroles avec elle, il s'en va, le cœur réchauffé d'une ardeur nouvelle.


Les années passent : Bertrand n'a pas le temps de s'occuper de lui-même. Plusieurs fois fait prisonnier par les anglais, il a dû payer rançon pour être libéré ; mais il a aussi délivré Rennes, Melun, Ploërmel, ce qui lui vaut d'être nommé gouverneur de Pontorson par le Dauphin.

Voilà Du Guesclin seigneur en son château, capitaine souverain pour le duché de Normandie, vassal mais aussi ami personnel du Duc de Bretagne. Et c'est cet ami haut placé qu'il prie d'intervenir pour réaliser son alliance avec Tiphaine Raguenel.

La famille de la jeune fille est flattée d'une telle demande : voilà où sa bravoure a mené le petit Breton ! Et Tiphaine « au clair visage » se prend à aimer celui qui veut conquérir la gloire pour ses beaux yeux. Elle l'aime parce qu'il l'aime, tout simplement, et qu'il le prouve bien, en voulant à ce point se montrer digne d'elle.

Mais, dans les semaines qui précèdent son mariage, Bertrand est donné en otage par son suzerain aux Anglais, en gage d'une nouvelle trèves. Bertrand n'accepte qu'à condition d'être libéré au bout d'un mois : il est bien décidé à ne laisser aucun impératif, royal ou pas, empiéter sur sa vie privée.

Cependant, le mois écoulé, son geôlier, Guillaume Felton, refuse de le laisser partir. Comme il a tout de même droit aux promenades à cheval, Bertrand en profite un jour pour lancer sa monture au triple galop et ainsi s'échapper. Cette fois, c'est pour lui-même qu'il se hâte : sa bien-aimée l'attend ; il lui tarde de la revoir enfin, celle qui lui est restée fidèle des années durant, sûre qu'elle serait un jour sa femme.

Les noces sont célébrées en grande magnificence à Dinan, au milieu d'une liesse indescriptible : Bertrand du Guesclin est si populaire ! Toute la noblesse de Bretagne est également présente. Pendant une semaine, « on ne s'occupe plus que de tournois, de courses de bagues et autres exercices militaires », rapporte la chronique.

Puis Bertrand emmène sa femme au château de Pontorson que lui a donné le roi. Enfin, ils peuvent se consacrer l'un à l'autre, sans que le reste du monde ait la possibilité d'y mêler ses tracasseries !

Parfois, Charles V fait mander son capitaine, mais du Guesclin, néglige ses devoirs, restant sourd à tous les appels. Il a bien mérité un peu de répit !

Doucement, Tiphaine le pousse et le retient à la fois. Elle sait qu'il va devoir partir, ne serais-ce que pour rester le personnage qu'il a mis tant d'années à devenir, pour l'amour de Tiphaine : un preux chevalier. Alors, elle tâche de lui prodiguer ses conseils de voyante. A travers le monde, où il se trouve, elle pourra ainsi lui faire savoir si telle période est bonne ou néfaste pour lui. Mais il a beau être éperdu d'admiration pour sa magicienne, Bertrand ne peut la suivre dans les chemins mystérieux où elle voudrait le mener : « Mon seigneur, dit-elle, je vous en prie, il faut toujours croire mon conseil ou bien vous feriez folie ... Tant que vous ferez ce que je vous dis, vous ne serez pas vaincu et vos gens ne seront pas déconfits. »

Mais Bertrand ne sais pas cacher son scepticisme : « Trufferies que tout cela ! » répond-il sans plus d'afféterie.

Cela ne l'empêche pas de donner toute sa foi à cette femme en qui il voit la mère qui lui a tant manqué pour ne l'avoir aimé, la confidente, indulgente et avisée, l'épouse qu'il faut honorer et protéger. Mais en ce qui concerne ses prédictions il a l'incrédulité d'un saint Thomas.


La lune de miel va être interrompue par un importun de taille : l'anglais Felton, à qui Bertrand avait si bien faussé compagnie pour aller se marier, ne se remet pas de l'humiliation qu'il a subie. Le voilà au pied du pont-levis, avec toute une troupe, à crier que l'on fasse venir le maître des lieux afin de lui dire sa façon de penser. Comme Bertrand ne daigne pas interrompre ses roucoulades, Felton le traite de lâche et veut le provoquer en combat singulier. Du Guesclin a décidément autre chose à faire que se mesurer avec un vantard ; pour le lui prouver, il monte à la tour et, en guise de réponse, présente son séant à ces messieurs.

Il est peut être chevalier, mais il n'en est pas moins gaulois !

Fatigué de s'égosiller en vain devant une troupe qui pouffe de rire, Felton fait mine de se le tenir pour dit. Cependant, ayant guetté les allées et venues du capitaine breton, il profite une nuit de son absence pour encercler silencieusement le château. Tiphaine dort, dans la même chambre que Juliette du Guesclin religieuse réfugiée chez son frère après l'incendie de son couvent. Tiphaine, la devineresse, se réveille en sursaut, le cœur battant. Elle sent que quelque chose d'anormal se prépare, et alerte aussitôt sa belle-soeur.

On ne s'appelle pas en vain du Guesclin : voilà nos deux femmes qui s'habillent en hâte, s'arment, qui d'une épée, qui d'un bouclier et courent sur le chemin de ronde, juste à temps pour que Juliette renverse une échelle déjà pleine d'anglais, tandis que Tiphaine sonne la cloche d'alarme, contraignant Felton et ses gens à battre en retraite.

Et, comme un malheur n'arrive jamais seul, dans sa fuite, l'obstiné rancunier ne rencontre-t-il pas justement du Guesclin lui-même, rentrant avec une armée qu'il vient de lever ! En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, les Anglais sont défaits, escortés jusqu'au château et bouclés dans les donjons.

Tiphaine, qui a aussi la langue bien pendue ira railler l'infortuné Felton : "C'est vraiment trop, pour un brave tel que vous, d'avoir été battu deux fois en douze heure, la première fois par la sœur, la seconde par le frère ! ".

Voilà ce qu'il en coûte de s'en prendre à des femmes seules !

Bertrand laisse les prisonniers à la garde de sa femme qui ne les relâchera que la rançon dûment payée. Lui, il s'en va ; pas très loin, d'ailleurs, à Auray, où il doit prêter main forte à son suzerain, le duc de Bretagne.

Pourtant, Tiphaine l'a supplié de ne pas participer à cette bataille : l'aspect des astres n'est pas favorable, un grand malheur va se produire s'il obstine contre sa destinée !

Bertrand se rit de ces calembredaines. Décidément l'astrologie restera toujours un obstacle dans leur compréhension mutuelle. Lui, se demande comment une femme aussi fine et intelligente peut prêter son esprit à de telles superstitions ; elle se plaint qu'il lui fasse confiance en tout, sauf, précisément, dans sa spécialité. Aussi Bertrand part-il malgré les prières de Tiphaine.

Le résultat ne se fait pas attendre : l'armée est défaite, le duc tué et Bertrand prisonnier après, il est vrai, s'être battu furieusement ; il a tout de même fini par céder aux injonctions de son vainqueur : « Messire Bertrand, au nom de Dieu, rendez-vous ! Vous voyez bien que la journée n'est pas vôtre! »

L'anglais ne croit pas si bien dire !

Cela fait en tout cas réfléchir du Guesclin qui a maintenant tout le temps de méditer sur les conseils de sa femme, dans la forteresse de Niort où il a été enfermé. Les prédictions de Tiphaine se sont avérées justes à plusieurs reprises, il y a là de quoi le troubler. En même temps, il se désole de laisser ainsi passer les semaines, sans savoir quand il reverra « sa gente dame ».

Mais, les lois de la chevalerie ont parfois de quoi vous mettre du baume au cœur : en s'engageant sur l'honneur à ne point reprendre le combat que lorsqu'il aura entièrement acquitté sa rançon, Bertrand est mis en liberté provisoire et peut donc rejoindre sa femme à Pontorson.

L'inactivité forcée de son mari aurait pu être une aubaine pour la jeune femme, mais elle a assez de cœur pour ne pas se réjouir trop fort : après tour, il est malheureux de ne pouvoir voler au secours de son roi qui en a pourtant bien besoin. Bertrand est prisonnier en son propre château et, pour Tiphaine, la gloire de son seigneur compte plus que son propre bonheur.

Finalement, c'est le roi Charles V, le Sage, qui paiera la dette de son fidèle vassal. Il a besoin de lui en Espagne, cette fois, pour combattre Pierre le Cruel qui a ordonné l'assassinat de sa douce femme en lui faisant fracasser le crâne ! La noblesse française entière s'en émeut et il a décidé de mettre à sa place son demi-frère sur le trône de Castille. Alors, bien sûr, Édouard III d'Angleterre prend le parti de Pierre le cruel... et c'est ainsi que Du Guesclin combat l'anglais sur la terre espagnole.

L'expédition durera cinq ans, au cours desquels Bertrand se couvrira d'honneurs : il est même fait roi de Grenade !

Pendant ce temps, Tiphaine reste en Bretagne. Les astres lui ont-ils révélé les frasques de son mari ? A-t-elle jamais appris qu'il a deux fils d'une mystérieuse « dame Soria », suivante de la reine d'Espagne ? La chronique raconte comment celle-ci discuta avec d'autres dames d'honneurs de la première fois qu'elle vit Bertrand : « Etudiant la mine de Bertrand, dont elles avaient tant entendu parler, s'entretinrent sur son chapitre ; l'une d'elles, tout étonnée de son extérieur ingrat et de son air tout disgracié, ne peut s'empêcher de dire :

- Mon Dieu qu'il est laid ! Est-il possible que cet homme ait acquis dans le monde une si grande réputation ?

La seconde répondit qu'il ne fallait pas juger des gens sur les apparences et qu'il lui suffisait qu'il fût brave, intrépide, heureux et sortant avec un succès incroyable de toutes les expéditions qu'il entreprenait.

La troisième enchérit encore sur la seconde, en faisant remarquer aux deux autres qu'il était d'une taille robuste, qu'il avait les poings gros et carrés, qu'il avait la peau noire comme celle d'un sanglier, et qu'on ne devait pas s'étonner s'il en avait la force et le courage. »

La « Dame de Soria » ayant sa charge à la cour d'Espagne, elle a souvent l'occasion d'y voir Bertrand. c'est ainsi que naît leur idylle.

Pourtant, le Breton n'oublie pas Tiphaine. Au contraire, il lui envoie tous ses trésors, ses butins, les titres de ses conquêtes. Il est vrai qu'il n'a jamais aimé s'affubler ni de richesses ni de décorations d'aucunes sorte ; mais ces somptueux cadeaux qu'il lui fait expédier à toutes occasions sont une autre façon de lui dire qu'il pense à elle.

Les mois, les années passent. Un beau jour, cependant, l'Espagne pacifiée, du Guesclin reprend le chemin de la France. Jamais, il ne reverra la mère de ses enfants espagnols. Il revient à Tiphaine Connétable de France, c'est-à-dire le second personnage du royaume après le roi. Mais qu'importe à Tiphaine d'être comtesse de Longueville, duchesse de Tristamare, reine de Grenade, si c'est être de si long mois loin de son mari !

Il n'a en effet pas le temps de se reposer auprès d'elle ; sa nouvelle charge l'appel : il est le seul qui soit capable de « bouter l'Anglais hors de France ». Mais, cette fois, Tiphaine va le rejoindre ; en effet le Trésor étant vide, Bertrand la supplie de réunir ses biens pour l'aider à lever une nouvelle armée. Et Tiphaine accepte. Elle sacrifie ses toilettes, sa vaisselle d'or et d'argent, ses bijoux, ses pièces d'orfèvrerie ; elle entasse pêle-mêle et sans regret dans vingt chariots qui vont la suivre jusqu'à la ville de Caen où elle rapporte à Bertrand tout ce qu'il lui avait offert durant ses cinq années d'absence. Qu'on le vende, qu'on le fonde, et que la France soit sauvée par la main de Bertrand et la générosité de Tiphaine.

Un mois plus tard, Bertrand a levé son armée ; il peut donc partie à la conquête de la France. Tiphaine lui donne sa bénédiction : « Sire, par vous ont été faits commencés, et par vous seulement, en nos jours, doit être France recouvrée.

De sa fenêtre elle regarde partir celui qui a passé plus de temps à batailler loin d'elle qu'à couler des heures tranquilles en ses domaines. Mais elle le savait, elle l'avait choisi et voulu ainsi.

Chaque fois qu'il le peut, Bertrand revient au Mont Saint-michel, où Tiphaine s'est installée pour rester plus près des précieuses archives de l'abbaye. Mais c'est une campagne décisive qui s'est engagée contre les Anglais, et le Connétable dispose de moins de temps que jamais pour rendre visite à sa femme.

Il se trouve en Poitou lorsqu'il apprend qu'elle est morte, dans l'isolement, comme elle a vécu, discrète compagne d'un homme qui était parti à la conquête de la gloire pour que l'on oublie sa laideur.

Du Guesclin lui survivra sept ans, volant de victoires en triomphes pour s'éteindre quelques semaines seulement avant son roi, Charles V. Le 13 juillet 1380 à Châteauneuf-de-Randon en Auvergne. Il fut emporté par la maladie pendant le terrible siège de la ville. A l'expiration de la trêve, le gouverneur de la ville vint symboliquement déposer les clefs de la cité sur son cercueil.

De Tiphaine, Guyard de Berville a dit qu'elle fut une incomparable femme, « dont le plus grand éloge est d'avoir été digne de Bertrand du Guesclin, comme il était le seul digne d'elle. »


URL d'origine : http://www.lodace.com/histoire/document/tiph.htm (fermé)


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